LETTRE DES ORIGINES
Le corps frappe à la porte de la langue,disperse la mémoire en coupe de silence, reconquiert, mots et mains joints, l’exclusive beauté de la vie, la joie qui emporte et déploie. Éclats de bras, oiseaux des jambes,bouche tendue en sa pose, elle passe d’une chair à l’autre. Déferlante épouse, la vague du rythme l’élève au-dessus de la mort, glissant toujours plus loin, vers l’orient intérieur.
Il n’y a pas d’autre voie, m’as-tu écrit, que celle qui mène de la terre au plein ciel, du cri au chant. Je t’écris, livrée à cet essor.
Remontant les courants de l’origine, nous chorégraphions des soleils perdus. Nous cherchons à faire bouger le jour dans le geste ou le poème. Ombres et rayons relient la poussière à l’étoile, l’animal à l’herbe, la flamme au mot. Comment oublier l’aérien du végétal, l’argile charnelle, la sève puissante du verbe qui nous brûle, nous cloue ou nous anime ?
Cherchant l’équilibre le corps, dans la danse comme dans l’écriture, s’ébroue ; la plénitude et le vide ne lui sont pas inconnus. Le temps déroule ses mille et une coulées pour le garder dans son lit. Toute durée rend fragile, et si le corps parle ce qui naît, il entend aussi ce qui meurt et rêve la vie éternelle. Nos pieds nos bustes rencontrent l’instant, nos mains nos cœurs y suspendent peur ou fêlure, ensemble ils inventent pour repousser la douleur : sauts, virevoltes, poursuites, étreintes sont autant de guérisons.
Sur la scène haute du silence, fleurissent matière, pensée et émotion : une gloire où le corps, l’esprit et l’âme ne font qu’un.
La vie a ka dimension de l’imprévisible, elle s’envole, guette et rassemble dans l’écriture du passage. Notre corps se souvient d’une naissance dans le noir, d’une poussée dans la lumière et d’un langage balbutiant. Il est poisson, oiseau et singe, homo sapiens, entrelacer masculin et féminin pour ce seul règne. En lui délivrant la parole, et en sa maison se déshabille l’amour.
Au pain du corps et de la langue, nous trouvons l’autre. Et avec lui nous dansons le chant du vivant. Comme nos mains, nos mots s’appellent et se retournent pour mieux parvenir à se joindre. Ma lettre esquisse le pas de deux.
Sylvie FABRE G ., La maison sans vitres,
LA PASSE DU VENT ,Postface d'Angèle PAOLI, Mars 2018 , p.59-60.